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LA JOIE DE VIVRE.

— Minouche, veux-tu laisser ça ! cria madame Chanteau. Est-ce qu’on joue avec l’argent !

Chanteau riait, Lazare aussi. Au bord de la table, Mathieu, très excité, dévorant de ses yeux de flamme les papiers qu’il devait prendre pour une gourmandise, aboyait contre la chatte. Et toute la famille s’épanouissait bruyamment. Pauline, ravie de ce jeu, avait saisi entre ses bras la Minouche, qu’elle berçait et caressait, ainsi qu’une poupée.

De crainte que l’enfant ne se rendormît, madame Chanteau lui fit boire son thé tout de suite. Puis, elle appela Véronique.

— Donne-nous les bougeoirs… On reste à causer, on ne se coucherait pas. Dire qu’il est dix heures ! Moi qui dormais en mangeant !

Mais une voix d’homme s’élevait dans la cuisine, et elle questionna la bonne, lorsque celle-ci eut apporté les quatre bougeoirs allumés.

— Avec qui donc causes-tu ?

— Madame, c’est Prouane… Il vient dire à monsieur que ça ne va pas bien en bas. La marée casse tout, paraît-il.

Chanteau avait dû accepter d’être maire de Bonneville, et Prouane, un ivrogne qui servait de bedeau à l’abbé Horteur, remplissait en outre les fonctions de greffier. Il avait eu un grade sur la flotte, il écrivait comme un maître d’école. Quand on lui eut crié d’entrer, il parut, son bonnet de laine à la main, sa veste et ses bottes ruisselantes d’eau.

— Eh bien, quoi donc, Prouane ?

— Dame ! monsieur, c’est la maison des Cuche qui est nettoyée, pour le coup… Maintenant, si ça continue, ça va être le tour de celle des Gonin… Nous étions tous là, Tourmal, Houtelard, moi, les