Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/298

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reux… Notre affection ne fait que du malheur autour de nous.

Sans cesse, elle tâchait de comprendre. Cela venait peut-être de ce que son caractère et celui de son cousin ne s’accordaient pas. Cependant, elle aurait voulu plier, abdiquer toute volonté personnelle ; et elle n’y réussissait guère, car la raison l’emportait quand même, elle était tentée d’imposer les choses qu’elle croyait raisonnables. Souvent sa patience échouait, il y avait des bouderies. Elle aurait voulu rire, noyer ces misères dans sa gaieté ; mais elle ne le pouvait plus, elle s’énervait à son tour.

— C’est joli ! répétait Véronique du matin au soir. Vous n’êtes que trois, et vous finirez par vous dévorer… Madame avait des jours bien désagréables, mais au moins, de son vivant, on n’en était pas encore à se jeter les casseroles à la tête.

Chanteau, lui aussi, éprouvait les effets de cette désaffection lente, que rien n’expliquait. Quand il avait une crise, il gueulait plus fort, comme disait la bonne. Puis, c’étaient des caprices et des violences de malade, un besoin de tourmenter continuellement le monde. La maison redevenait un enfer.

Alors, la jeune fille, dans les dernières secousses de sa jalousie, se demanda si elle avait le droit d’imposer à Lazare son bonheur à elle. Certes, elle le voulait heureux avant tout, même au prix de ses larmes. Pourquoi donc l’enfermer ainsi, le forcer à une solitude dont il paraissait souffrir ? Sans doute, il l’aimait encore, il lui reviendrait, quand il la jugerait mieux, en la comparant à l’autre. En tout cas, elle devait lui permettre de choisir : c’était juste, et l’idée de justice restait en elle debout, souveraine.