Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/332

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blait avoir perdu sa langue, tombait à une maussaderie sombre. Seuls, les dîners du samedi dérangeaient cette paix, Cazenove et l’abbé Horteur dînaient exactement, on entendait des voix jusqu’à dix heures, puis les sabots du prêtre s’en allaient sur le pavé de la cour, tandis que le cabriolet du médecin partait, avec le trot pesant du vieux cheval. La gaieté même de Pauline s’était faite tranquille, cette gaieté vaillante qu’elle avait gardée au milieu de ses tourments. Son rire sonore n’emplissait plus l’escalier et les pièces ; mais elle demeurait l’activité et la bonté de la maison, elle y apportait chaque matin un nouveau courage à vivre. Au bout d’une année, son cœur dormait, elle pouvait croire que les heures, maintenant, couleraient de la sorte, uniformes et douces, sans que rien réveillât en elle la douleur assoupie.

Dans les premiers temps, après le départ de Lazare, chaque lettre de lui avait troublé Pauline. Elle ne vivait que par ces lettres, les attendait avec impatience, les relisait, allait au-delà des mots écrits, jusqu’aux choses qu’ils ne disaient pas. Pendant trois mois, elles furent régulières, elles arrivaient tous les quinze jours, très longues, pleines de détails, débordantes d’espoir. Lazare se passionnait une fois encore, se jetait dans les affaires, rêvant tout de suite une fortune colossale. À l’entendre, la compagnie d’assurances rendrait des bénéfices énormes ; et il ne se bornerait pas là, il entassait les entreprises, il se montrait enchanté du monde financier et industriel, des gens de relations charmantes, qu’il s’accusait d’avoir si sottement jugés en poète. Toute idée littéraire semblait oubliée. Puis, il ne tarissait pas sur les joies de son ménage, il racontait des en-