Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/341

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Était-ce donc si court, cette joie de la chair ? ne pouvait-on y descendre sans cesse, y découvrir sans cesse des sensations nouvelles, dont l’inconnu fût assez puissant pour suffire à l’illusion du bonheur ? Une nuit, Lazare fut réveillé en sursaut par le souffle glacé, dont l’effleurement lui hérissait les poils de la nuque ; et il grelotta, et il bégaya son cri d’angoisse : « Mon Dieu ! mon Dieu ! il faut mourir ! » Louise dormait à côté de lui. C’était la mort qu’il retrouvait au bout de leurs baisers.

Alors, d’autres nuits vinrent, il retomba dans son tourment. Cela le frappait au hasard de ses insomnies, sans règle, sans qu’il pût rien prévoir, ni rien empêcher. Brusquement, au milieu des heures calmes, le frisson le prenait ; tandis que, souvent, dans la colère et la courbature d’un mauvais jour, il n’était pas visité par la peur. Et ce n’était plus le simple sursaut d’autrefois, la lésion nerveuse augmentait, le retentissement de chaque secousse nouvelle ébranlait tout son être. Il ne pouvait dormir sans veilleuse, les ténèbres exaspéraient son anxiété, malgré la continuelle crainte que sa femme ne découvrît son mal. Même il y avait là un redoublement de malaise qui aggravait les crises, car jadis, quand il couchait seul, il lui était permis d’être lâche. Cette créature vivante, dont il sentait la tiédeur à son côté, l’inquiétait. Dès que la peur le soulevait de l’oreiller, aveuglé de sommeil, son regard se portait vers elle, avec la pensée éperdue de la voir les yeux ouverts, fixés tout grands sur les siens. Mais jamais elle ne bougeait, il distinguait à la lueur de la veilleuse son visage immobile, aux lèvres épaissies et aux minces paupières bleues. Aussi commençait-il à se tranquilliser, lorsque, une nuit, il la trouva, comme