Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/349

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fixement brûler sa bougie, la pensée qu’elle seule était coupable, en cette aventure, lui montait de la conscience et l’oppressait. Inutilement, elle se débattait contre les faits : elle seule avait conclu ce mariage, sans comprendre que Louise n’était pas la femme qu’il fallait à son cousin ; car elle la voyait nettement à cette heure, trop nerveuse pour l’équilibrer, près de s’affoler elle-même au moindre souffle, ayant son unique charme d’amante dont il s’était lassé. Pourquoi toutes ces choses ne la frappaient-elles qu’aujourd’hui ? N’étaient-ce pas les mêmes raisons qui l’avaient déterminée à laisser Louise prendre sa place ? Autrefois, elle la trouvait plus aimante, il lui semblait que cette femme, avec ses baisers, aurait le pouvoir de sauver Lazare de ses humeurs sombres. Quelle misère ! faire le mal en voulant faire le bien, être ignorante de l’existence au point de perdre les gens dont on veut le salut ! Certes, elle avait cru être bonne, rendre solide son œuvre de charité, le jour où elle avait payé leur joie de tant de larmes. Et un grand mépris lui venait de sa bonté, puisque la bonté ne faisait pas toujours le bonheur.

La maison dormait, elle n’entendait, dans le silence de la chambre, que le bruit de son sang, dont le flot battait à ses tempes. C’était une révolte qui, peu à peu, s’enflait et éclatait. Pourquoi n’avait-elle pas épousé Lazare ? Il lui appartenait, elle pouvait ne pas le donner. Peut-être se serait-il désespéré d’abord, mais elle aurait bien su lui souffler son courage ensuite, le défendre contre les cauchemars imbéciles. Toujours elle avait eu la sottise de douter d’elle, l’unique cause de leur malheur était là. Et la conscience de sa force, toute sa santé, toutes ses