Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/350

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tendresses, grondaient, s’affirmaient enfin. Est-ce qu’elle ne valait pas mieux que l’autre ? Quelle était donc sa stupidité, de s’être effacée ainsi ? Maintenant, elle lui niait même sa passion, malgré ses abandons d’amante sensuelle, car elle trouvait dans son propre cœur une passion plus large, celle qui se sacrifie à l’être aimé. Elle aimait assez son cousin pour disparaître, si l’autre l’avait rendu heureux ; mais, puisque l’autre ne savait comment garder le grand bonheur de l’avoir, n’allait-elle pas agir, rompre cette union mauvaise ? Et sa colère montait toujours, et elle se sentait plus belle, plus vaillante, elle regardait sa gorge et son ventre de vierge, dans le brusque orgueil de la femme qu’elle aurait pu être. Une certitude se faisait, foudroyante : c’était elle qui aurait dû épouser Lazare.

Alors, un regret immense l’accabla. Les heures de la nuit passaient, tombaient une à une, sans qu’elle eût l’idée de se traîner jusqu’à son lit. Un rêve venait de l’envahir, les yeux grands ouverts, aveuglés par la flamme haute de la bougie, qu’elle regardait toujours, sans la voir. Elle n’était plus dans sa chambre, elle s’imaginait qu’elle avait épousé Lazare ; et leur existence commune se déroulait devant elle, en tableaux d’amour et de félicité. C’était à Bonneville, au bord de la mer bleue, ou bien à Paris, dans une rue bruyante ; le calme de la petite pièce restait le même, des livres traînaient, des roses fleurissaient sur la table, la lampe avait une clarté blonde, le soir, tandis que des ombres dormaient au plafond. Toutes les minutes, leurs mains se cherchaient, il avait retrouvé la gaieté insouciante de sa jeunesse, elle l’aimait tant qu’il finissait par croire à l’éternité de l’existence. À cette