Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/351

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heure-ci, ils se mettaient à table ; à cette heure-là, ils sortaient ensemble ; demain, elle reverrait avec lui les comptes de la semaine. Et elle s’attendrissait à ces détails familiers du ménage, elle y mettait la solidité de leur bonheur, qui était enfin là, visible, réel, depuis la toilette rieuse de leur lever, jusqu’à leur dernier baiser du soir. En été, ils voyageaient. Puis, un matin, elle s’apercevait qu’elle était enceinte. Mais un grand frisson secoua son rêve, elle n’alla pas plus loin, elle se retrouva dans sa chambre, en face de sa bougie presque achevée. Enceinte, mon Dieu ! l’autre était enceinte, et jamais ces choses n’arriveraient, et jamais elle ne connaîtrait ces joies ! Ce fut une chute si rude, que des larmes jaillirent de ses yeux et qu’elle pleura sans fin, avec des hoquets qui lui brisaient la poitrine. La bougie s’éteignait, elle dut se coucher dans l’obscurité.

Pauline garda, de cette nuit de fièvre, une émotion profonde, une pitié charitable pour le ménage désuni et pour elle-même. Son chagrin se fondait dans une sorte d’espérance tendre. Elle n’aurait pu dire sur quoi elle comptait, elle n’osait s’analyser, au milieu des sentiments confus qui agitaient son cœur. Pourquoi se tourmenter ainsi ? n’avait-elle pas encore dix jours au moins devant elle ? Il serait temps d’aviser ensuite. Ce qui importait, c’était de calmer Lazare, de faire que ce repos à Bonneville fût pour lui profitable. Et elle retrouva sa gaieté, ils se lancèrent tous les deux dans leur belle vie d’autrefois.

D’abord, ce fut la camaraderie de leur enfance.

— Laisse donc là ton drame, grande bête ! Il sera sifflé, ton drame… Tiens ! aide-moi plutôt à regarder