ment que je donne un coup d’œil à mon ragoût.
Lorsqu’elle revint, au bout d’un quart d’heure, il y avait déjà sur le banc deux garçons et deux filles, ses anciens petits pauvres, mais grandis, gardant leurs habitudes de mendicité.
D’ailleurs, jamais tant de misère ne s’était abattu sur Bonneville. Pendant les tempêtes de mai, les trois dernières maisons venaient d’être écrasées contre la falaise. C’était fini, les grandes marées avaient achevé de balayer le village, après des siècles d’assaut, dans l’envahissement continu de la mer, qui chaque année mangeait un coin du pays. Il n’y avait plus, sur les galets, que les vagues conquérantes, effaçant jusqu’aux traces des décombres. Les pêcheurs, chassés du trou où des générations s’étaient obstinées sous l’éternelle menace, avaient bien été forcés de monter plus haut, dans le ravin, et ils campaient en tas, les plus riches bâtissaient, les autres s’abritaient sous des roches, tous fondaient un autre Bonneville, en attendant que le flot les délogeât encore, après de nouveaux siècles de bataille. Pour achever son œuvre de destruction, la mer avait dû emporter d’abord les épis et les palissades. Ce jour-là, le vent soufflait du nord, des paquets d’eau monstrueux s’écroulaient avec un tel fracas, que les secousses remuaient l’église. Lazare, averti, n’avait pas voulu descendre. Il était resté sur la terrasse, regardant arriver le flux ; tandis que les pêcheurs couraient voir, excités par cette furieuse attaque. Un orgueil terrifié débordait en eux : hurlait-elle assez fort, allait-elle lui nettoyer ça, la gueuse ! En moins de vingt minutes, en effet, tout avait disparu, les palissades éventrées, les épis brisés, réduits en miettes. Et ils hurlaient avec elle,