Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/433

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langue à se nettoyer. Tant de coquines ne se débarbouillent même pas !

Chanteau, les yeux tournés également vers la chatte, soupirait plus haut, dans cette plainte continue et involontaire, dont lui-même perdait conscience.

— Vous souffrez davantage ? lui demanda le docteur.

— Hein ? pourquoi ? dit-il en s’éveillant comme en sursaut. Ah ! c’est parce que je respire fort… Oui, je souffre beaucoup, ce soir. Je croyais que le soleil me ferait du bien, mais j’étouffe quand même, je n’ai pas une jointure qui ne brûle.

Cazenove lui examina les mains. Tous, au spectacle de ces pauvres moignons déformés, avaient un frémissement. Le prêtre lâcha encore une réflexion sensée.

— Des doigts pareils, ce n’est pas commode pour jouer aux dames… Voilà une distraction qui vous manque, maintenant.

— Soyez sage sur la nourriture, recommanda le médecin. Le coude est bien enflammé, l’ulcération gagne de plus en plus.

— Que faut-il donc faire pour être sage ? gémit désespérément Chanteau. On mesure mon vin, on pèse ma viande, dois-je cesser toute nourriture ? En vérité, c’est ne plus vivre… Si je mangeais seul ! mais comment voulez-vous, avec des machines pareilles au bout des bras ? Pauline, qui me fait manger, est bien sûre pourtant que je ne prends rien de trop.

La jeune fille eut un sourire.

— Si, si, tu as trop mangé hier… C’est ma faute, je ne sais pas refuser, quand je vois ta gourmandise te rendre si malheureux.