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LES ROUGON-MACQUART.

elle se trouva lâchée avec Lazare dans la solitude vivante des plages.

Quelles bonnes escapades ! Madame Chanteau grondait, voulait les retenir au logis, malgré sa confiance dans la raison de la petite. Aussi ne traversaient-ils jamais la cour, où Véronique les aurait vus ; ils filaient par le potager, disparaissaient jusqu’au soir. Bientôt, les promenades autour de l’église, les coins du cimetière abrités par des ifs, les quatre salades du curé, les ennuyèrent ; et ils épuisèrent également en huit jours tout Bonneville, les trente maisons collées contre le roc, le banc de galets où les pêcheurs échouaient leurs barques. Ce qui était plus amusant, c’était, à mer basse, de s’en aller très loin, sous les falaises : on marchait sur des sables fins, où fuyaient des crabes, on sautait de roche en roche, parmi les algues, pour éviter les ruisseaux d’eau limpide, pleins d’un frétillement de crevettes ; sans parler de la pêche, des moules mangées sans pain, toutes crues, des bêtes étranges, emportées dans le coin d’un mouchoir, des trouvailles brusques, une limande égarée, un petit homard entendu au fond d’un trou. La mer remontait, ils se laissaient parfois surprendre, jouaient au naufrage, réfugiés sur quelque récif, en attendant que l’eau voulût bien se retirer. Ils étaient ravis, ils rentraient mouillés jusqu’aux épaules, les cheveux envolés dans le vent, si habitués au grand air salé, qu’ils se plaignaient d’étouffer le soir, sous la lampe.

Mais leur joie fut de se baigner. La plage était trop rocheuse pour attirer les familles de Caen et de Bayeux. Tandis que, chaque année, les falaises d’Arromanches se couvraient de chalets nouveaux,