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LES ROUGON-MACQUART.

— Je me souviens qu’on m’avait parlé de ses colères, à Paris, disait madame Chanteau. Elle est jalouse, c’est une laide chose… Depuis six mois qu’elle est ici, je m’étais bien aperçue de certains petits faits ; mais, vraiment, vouloir assommer ce chien, ça dépasse tout.

Le lendemain, lorsque Pauline rencontra Mathieu, elle le serra entre ses bras tremblants, le baisa sur le museau avec un tel flot de larmes, qu’on craignit de voir la crise recommencer. Pourtant, elle ne se corrigea pas, c’était une poussée intérieure qui lui jetait tout le sang de ses veines au cerveau. Il semblait que ces violences jalouses lui vinssent de loin, de quelque aïeul maternel, par dessus le bel équilibre de sa mère et de son père, dont elle était la vivante image. Comme elle avait beaucoup de raison pour ses dix ans, elle expliquait elle-même qu’elle faisait tout au monde afin de lutter contre ces colères, mais qu’elle ne pouvait pas. Ensuite, elle en restait triste, ainsi que d’un mal dont on a honte.

— Je vous aime tant, pourquoi en aimez-vous d’autres ? répondit-elle en cachant sa tête contre l’épaule de sa tante, qui la sermonnait dans sa chambre.

Aussi, malgré ses efforts, Pauline souffrit-elle beaucoup de la présence de Louise. Depuis qu’on annonçait son arrivée, elle l’avait attendue avec une curiosité inquiète, et maintenant elle comptait les jours, dans le désir impatient de son départ. Louise d’ailleurs la séduisait, bien mise, se tenant en grande demoiselle savante, d’une grâce câline d’enfant peu caressée chez elle ; mais, lorsque Lazare se trouvait là, c’était justement cette séduction de petite