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LA JOIE DE VIVRE.

le regarda empiler les livres qu’il avait apportés, et qui étaient restés enfermés dans l’armoire, sans qu’il eût même l’idée d’en ouvrir un seul.

— Alors, tu les emportes ? demanda-t-elle d’un air désolé.

— Sans doute, répondit-il. C’est pour mes études… Ah ! sapristi, comme je vais travailler ! Il faut que j’enfonce tout.

Une paix morte retomba sur la petite maison de Bonneville, les jours uniformes se déroulèrent, ramenant les habitudes quotidiennes, en face du rythme éternel de l’océan. Mais, cette année-là, il y eut, dans la vie de Pauline, un fait qui marqua. Elle fit sa première communion au mois de juin, à l’âge de douze ans et demi. Lentement, la religion s’était emparée d’elle, une religion grave, supérieure aux réponses du catéchisme, qu’elle récitait toujours sans les comprendre. Dans sa jeune tête raisonneuse, elle avait fini par concevoir de Dieu l’idée d’un maître très puissant, très savant, qui dirigeait tout, de façon à ce que tout marchât sur la terre selon la justice ; et cette conception simplifiée lui suffisait pour s’entendre avec l’abbé Horteur. Celui-ci, fils de paysan, crâne dur où la lettre avait seule pénétré, en était venu à se contenter des pratiques extérieures, du bon ordre d’une dévotion décente. Personnellement, il soignait son salut ; quant à ses paroissiens, tant pis s’ils se damnaient ! Il avait pendant quinze ans tâché de les effrayer sans y réussir, il ne leur demandait plus que la politesse de monter à l’église, les jours de grandes fêtes. Tout Bonneville y montait, par un reste d’habitude, malgré le péché où pourrissait le village. Son indifférence du salut des autres tenait lieu au prêtre de tolérance. Il allait