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LA JOIE DE VIVRE.

dissiper, il la poursuivait de continuelles demandes d’argent. En juillet, comme elle allait toucher les rentes de Pauline, elle tomba violemment chez Davoine ; deux mille francs, déjà donnés par lui, avaient passé aux mains du jeune homme ; et elle réussit à lui arracher encore mille francs, qu’elle envoya tout de suite à Paris. Lazare lui écrivait qu’il ne pourrait venir, s’il ne payait pas ses dettes.

Pendant une semaine, on l’attendit. Chaque matin, une lettre arrivait, remettant son départ au jour suivant. Sa mère et Pauline allèrent à sa rencontre jusqu’à Verchemont. On s’embrassa sur la route, on rentra dans la poussière, suivi par la voiture vide, qui portait la malle. Mais ce retour en famille fut moins gai que la surprise triomphale de l’année précédente. Il avait échoué à son examen de juillet, il était aigri contre les professeurs, toute la soirée il déblatéra contre eux, des ânes dont il finissait par avoir plein le dos, disait-il. Le lendemain, devant Pauline, il jeta ses livres sur une planche de l’armoire, en déclarant qu’ils pouvaient bien pourrir là. Ce dégoût si prompt la consternait, elle l’écoutait plaisanter férocement la médecine, la mettre au défi de guérir seulement un rhume de cerveau ; et un jour qu’elle défendait la science, dans un élan de jeunesse et de foi, elle devint toute rouge, tellement il se moqua de son enthousiasme d’ignorante. Du reste, il se résignait quand même à être médecin ; autant cette blague-là qu’une autre ; rien n’était drôle, au fond. Elle s’indignait de ces nouvelles idées qu’il rapportait. Où avait-il pris ça ? dans de mauvais livres, bien sûr ; mais elle n’osait plus discuter, gênée par son ignorance absolue, mal à l’aise devant le ricane-