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LES ROUGON-MACQUART.

de lui être utile, abordait toutes les questions. Mais elle l’amusait souvent, tant son instruction avait de trous, tant il s’y trouvait un extraordinaire mélange de connaissances qui se battaient : les idées de sous-maîtresse de sa tante, le train du monde réduit à la pudeur des pensionnats ; puis, les faits précis lus par elle dans les ouvrages de médecine, les vérités physiologiques de l’homme et de la femme, éclairant la vie. Quand elle lâchait une naïveté, il riait si fort, qu’elle entrait en colère : au lieu de rire, est-ce qu’il n’aurait pas mieux fait de lui montrer son erreur ? et, le plus souvent, la dispute se terminait ainsi par une leçon, il achevait de l’instruire, en jeune chimiste supérieur aux convenances. Elle en savait trop pour ne pas savoir le reste. D’ailleurs, un travail lent s’opérait, elle lisait toujours, elle coordonnait peu à peu ce qu’elle entendait, ce qu’elle voyait, respectueuse cependant pour madame Chanteau, dont elle continuait à écouter d’une mine sérieuse les mensonges décents. C’était seulement avec son cousin, dans la grande chambre, qu’elle devenait un garçon, un préparateur, auquel il criait :

— Dis donc, as-tu regardé cette Floridée ?… Elle n’a qu’un sexe.

— Oui, oui, répondait-elle, des organes mâles en gros bouquets.

Pourtant, un vague trouble montait en elle. Lorsque Lazare la bousculait parfois fraternellement, elle restait quelques secondes étouffée, le cœur battant à grands coups. La femme, qu’ils oubliaient tous deux, se réveillait dans sa chair, avec la poussée même de son sang. Un jour, comme il se tournait, il la heurta du coude. Elle jeta un cri, elle porta les mains à sa gorge. Quoi donc ? il lui avait fait du mal ?