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LA JOIE DE VIVRE.

mais il l’avait à peine touchée ! et, d’un geste naturel, il voulut écarter son fichu, pour voir. Elle s’était reculée, ils demeurèrent face à face, confus, souriant d’un air contraint. Un autre jour, au courant d’une expérience, elle refusa de tremper ses mains dans l’eau froide. Lui, s’étonnait, s’irritait : pourquoi ? quel drôle de caprice ! si elle ne l’aidait pas, elle ferait mieux de descendre. Puis, la voyant rougir, il comprit, il la regarda d’un visage béant. Alors, cette gamine, ce frère cadet était décidément une femme ? on ne pouvait l’effleurer sans qu’elle jetât une plainte, on ne devait seulement pas compter sur elle à toutes les époques du mois. À chaque fait nouveau, c’était une surprise, comme une découverte imprévue qui les embarrassait et les émotionnait l’un et l’autre, dans leur camaraderie de garçons. Lazare semblait n’en éprouver que de l’ennui, ça n’allait plus être possible de travailler ensemble, puisqu’elle n’était pas un homme et qu’un rien la dérangeait. Quant à Pauline, elle en gardait une sorte de malaise, une anxiété où grandissait un charme délicieux.

Dès ce moment, chez la jeune fille, se développèrent des sensations dont elle ne parlait à personne. Elle ne mentait pas, elle se taisait simplement, par une fierté inquiète, par une honte aussi. Plusieurs fois, elle se crut souffrante, sur le point de faire une maladie grave, car elle se couchait fiévreuse, brûlée d’insomnie, emportée tout entière dans le tumulte sourd de l’inconnu qui l’envahissait ; puis, au jour, elle était seulement brisée, elle ne se plaignait même pas devant sa tante. C’étaient encore des chaleurs brusques, une excitation nerveuse, et des pensées inattendues qui la révoltaient ensuite, et surtout des rêves dont elle sortait fâchée contre