Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LES ROUGON-MACQUART.

elle. Ses lectures, cette anatomie, cette physiologie épelées passionnément, lui avaient laissé une telle virginité de corps, qu’elle retombait dans des stupeurs d’enfant, à chaque phénomène. Puis, la réflexion la calmait : elle n’était pas à part, elle devait s’attendre à voir se dérouler en elle-même, cette mécanique de la vie, faite pour les autres. Après le dîner, un soir, elle discuta la bêtise des rêves : était-ce irritant, d’être sur le dos, sans défense, en proie aux imaginations baroques ? et ce qui l’exaspérait, paraissait être la mort de la volonté dans le sommeil, l’abandon complet de sa personne. Son cousin, avec ses théories pessimistes, attaquait aussi les rêves, comme troublant le parfait bonheur du néant ; tandis que son oncle distinguait, aimait les songes agréables, abominait les cauchemars de la fièvre. Mais elle s’acharnait si fort, que madame Chanteau, surprise, la questionna sur ce qu’elle voyait, la nuit. Alors, elle balbutia : rien, des absurdités, des choses trop vagues pour en garder le souvenir. Et elle ne mentait toujours pas, ses rêves se passaient dans un demi-jour, des apparences la frôlaient, son sexe de femme s’éveillait à la vie charnelle, sans que jamais une image nette précisât la sensation. Elle ne voyait personne, elle pouvait croire à une caresse du vent de mer, qui, l’été, entrait par la fenêtre ouverte.

Cependant, la grande affection de Pauline pour Lazare semblait être chaque jour plus ardente ; et ce n’était pas seulement, dans leur camaraderie fraternelle de sept années, l’éveil instinctif de la femme : elle avait aussi le besoin de se dévouer, une illusion le lui montrait comme le plus intelligent et le plus fort. Lentement, cette fraternité devenait de l’amour, avec les bégayements exquis de la passion