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LA TERRE.

masser. La violence de l’ouragan augmentait encore, toutes les vitres de la fenêtre furent brisées ; et la force acquise était telle, qu’un grêlon alla casser une cruche, pendant que d’autres roulaient jusqu’au matelas du mort.

— Il n’en irait pas cinq à la livre, dit la Bécu, qui les soupesait.

Fanny et la Frimat eurent un geste désespéré.

— Tout est fichu, un massacre !

C’était fini. On entendit le galop du désastre s’éloigner rapidement, et un silence de sépulcre tomba. Le ciel, derrière la nuée, était devenu d’un noir d’encre. Une pluie fine, serrée, ruisselait sans bruit. On ne distinguait, sur le sol, que la couche épaisse des grêlons, une nappe blanchissante, qui avait comme une lumière propre, la pâleur de millions de veilleuses, à l’infini.

Nénesse, s’étant lancé au-dehors, revint avec un véritable glaçon, de la grosseur de son poing, irrégulier, dentelé ; et la Frimat, qui ne tenait plus en place, ne put résister davantage au besoin d’aller voir.

— Je vas chercher ma lanterne, faut que je sache le dégât.

Fanny se maîtrisa quelques minutes encore. Elle continuait ses doléances. Ah ! quel travail ! ça en faisait, du ravage, dans les légumes et dans les arbres à fruits ! Les blés, les avoines, les seigles, n’étaient pas assez hauts, pour avoir beaucoup souffert. Mais les vignes, ah ! les vignes ! Et, sur la porte, elle fouillait des yeux la nuit épaisse, impénétrable, elle tremblait d’une fièvre d’incertitude, cherchant à estimer le mal, l’exagérant, croyant voir la campagne mitraillée, perdant le sang par ses blessures.

— Hein ? mes petites, finit-elle par dire, je vous emprunte une lanterne, je cours jusqu’à nos vignes.

Elle alluma l’une des deux lanternes, elle disparut avec Nénesse.

La Bécu, qui n’avait pas de terre, au fond, s’en moquait. Elle poussait des soupirs, implorait le ciel, par une habitude de mollesse geignarde. La curiosité, pourtant, la