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IV


Depuis la veille, Jean conduisait la faucheuse mécanique, dans les quelques arpents de pré qui dépendaient de la Borderie, au bord de l’Aigre. De l’aube à la nuit, on avait entendu le claquement régulier des lames ; et, ce matin-là, il finissait, les derniers andains tombaient, s’alignaient derrière les roues, en une couche de tiges fines, d’un vert tendre. La ferme n’ayant pas de machine à faner, on lui avait laissé engager deux faneuses, Palmyre, qui se tuait de travail, et Françoise, qui s’était fait embaucher par caprice, amusée de cette besogne. Toutes deux, venues dès cinq heures, avaient, de leurs longues fourches, étalé les mulons, l’herbe à demi séchée et mise en tas la veille au soir, pour la protéger de la rosée nocturne. Le soleil s’était levé dans un ciel ardent et pur, qu’une brise rafraîchissait. Un vrai temps pour faire de bon foin.

Après le déjeuner, lorsque Jean revint avec ses faneuses, le foin du premier arpent fauché était fait. Il le toucha, le sentit sec et craquant.

— Dites donc, cria-t-il, nous allons le retourner encore, et ce soir nous commençons les meules.

Françoise, en robe de toile grise, avait noué sur sa tête un mouchoir bleu, dont un côté battait sa nuque, tandis que deux coins flottaient librement sur ses joues, lui protégeant le visage de l’éclat du soleil. Et, d’un balancement de sa fourche, elle prenait l’herbe, la jetait dans le vent, qui en emportait comme une poussière blonde. Les brins volaient, une odeur s’en dégageait, pénétrante et forte, l’odeur des herbes coupées, des fleurs fanées.