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LA TERRE.

Françoise, plus jeune, ouvrait des yeux stupéfiés.

— En voilà un amusement ! dit-elle enfin. Mais, si elle ne revient pas, les Lengaigne vont donc être seuls, puisque Victor est tombé au sort.

Berthe, qui épousait la haine de son père, haussa les épaules : il s’en fichait bien, Lengaigne ! il n’avait qu’un regret, celui que la petite ne fût pas restée à se faire culbuter chez lui, pour achalander son bureau de tabac. Est-ce qu’un vieux de quarante ans, un oncle à elle, ne l’avait pas eue déjà, avant qu’elle partît à Châteaudun, un jour qu’ils épluchaient ensemble des carottes ? Et, baissant la voix, Berthe dit, avec les mots, comment ça s’était passé. Françoise, pliée en deux, riait à s’étouffer, tant ça lui semblait drôle.

— Oh ! là, là, est-ce bête qu’on se fasse des machines pareilles !

Elle se remit à sa besogne, elle s’éloigna, soulevant des fourchées d’herbe, les secouant dans le soleil. On entendait toujours le bruit persistant du marteau, qui tapait le fer. Et, quelques minutes plus tard, comme elle s’était rapprochée du jeune homme assis, elle lui adressa la parole.

— Alors, tu vas partir soldat ?

— Oh ! en octobre… J’ai le temps, ce n’est pas pressé.

Elle résistait à l’envie de le questionner sur sa sœur, elle en causa malgré elle.

— Est-ce vrai, ce qu’on raconte, que Suzanne est à Chartres ?

Mais lui, plein d’indifférence, répondit :

— Paraît… Si ça l’amuse !

Tout de suite, il reprit, en voyant au loin poindre Lequeu, le maître d’école, qui semblait arriver par hasard, en flânant :

— Tiens ! en v’là un pour la fille à Macqueron… Qu’est-ce que je disais ? Il s’arrête, il lui fourre son nez dans les cheveux… Va, va, sale tête de pierrot, tu peux la renifler, tu n’en auras que l’odeur !

Françoise s’était remise à rire, et Victor tombait maintenant sur Berthe, par haine de famille. Sans doute, le