Page:Emile Zola - La Terre.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
LA TERRE.

l’autre. Cela était juste, le vieux enrageait d’avoir eu tort.

— Quelle histoire ? demanda Lise. Est-ce que les Delhomme ne vous payent pas ?

— Oh ! si, répondit Rose. Tous les trois mois, à midi sonnant, l’argent est là, sur la table… Seulement, il y a des façons de payer, n’est-ce pas ? et le père, qui est susceptible, voudrait au moins de la politesse… Fanny vient chez nous de l’air dont elle irait chez l’huissier, comme si on la volait.

— Oui, ajouta le vieux, ils payent et c’est tout. Moi, je trouve que ce n’est point assez. Faudrait des égards… Est-ce que ça les acquitte, leur argent ? Nous voilà des créanciers, pas plus… Et encore on a tort de se plaindre. S’ils payaient tous !

Il s’interrompit, un silence embarrassé régna. Cette allusion à Jésus-Christ, qui ne leur avait pas donné un sou, buvant sa part qu’il hypothéquait morceau à morceau, désolait la mère, toujours portée à défendre le chenapan, le chéri de son cœur. Elle trembla de voir étaler cette autre plaie, elle se hâta de reprendre :

— Ne te mange donc pas les sangs pour des bêtises !… Puisque nous sommes heureux, qu’est-ce que ça te fiche, le reste ? Quand on a assez, on a assez.

Jamais elle ne lui avait tenu tête ainsi. Il la regarda fixement.

— Tu parles trop, la vieille !… Je veux bien être heureux, mais faut pas qu’on m’embête !

Et elle redevint toute petite, tassée et oisive sur sa chaise, pendant qu’il achevait son pain, en roulant longuement la dernière bouchée, pour faire durer la récréation. La salle triste s’endormait.

— Alors, put continuer Lise, je désirais donc savoir ce que Buteau compte faire, par rapport à moi et à son enfant… Je ne l’ai guère tourmenté, il est temps que ça se décide.

Les deux vieux ne soufflaient plus mot. Elle interrogea directement le père.

— Puisque vous l’avez vu, il a dû vous parler de moi… Qu’est-ce qu’il en dit ?