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LA TERRE.

Puisqu’on a déjà une route ! C’est bien le plaisir de dépenser de l’argent, d’en prendre dans la poche de Jean pour le mettre dans la poche de Pierre… Encore, toi, tu as promis de faire cadeau de ton terrain.

C’était une sournoiserie à l’adresse de Macqueron. Mais celui-ci, qui regrettait amèrement son accès de libéralité, mentit avec carrure.

— Moi, je n’ai rien promis… Qui t’a dit ça ?

— Qui ? mais toi, nom de Dieu !… Et devant du monde ! Tiens ! M. Lequeu était là, il peut parler… N’est-ce pas, monsieur Lequeu ?

Le maître d’école, que l’attente de son sort enrageait, eut un geste de brutal dédain. Est-ce que ça le regardait, leurs saletés d’histoires !

— Alors, vrai ! continua Lengaigne, s’il n’y a plus d’honnêteté sur terre, autant vivre dans les bois !… Non, non ! Je n’en veux pas, de votre chemin ! Un joli vol !

Voyant les choses se gâter, le maire se hâta d’intervenir.

— Tout ça, ce sont des bavardages. Nous n’avons pas à entrer dans les querelles particulières… C’est l’intérêt public, l’intérêt commun, qui doit nous guider.

— Bien sûr, déclara sagement Delhomme. La route nouvelle rendra de grands services à toute la commune… Seulement, il faudrait savoir. Le préfet nous dit toujours : « Votez une somme, nous verrons après ce que le gouvernement pourra faire pour vous. » Et, s’il ne faisait rien, à quoi bon perdre notre temps à voter ?

Du coup, Hourdequin crut devoir lancer la grosse nouvelle, qu’il tenait en réserve.

— À ce propos, messieurs, je vous annonce que monsieur de Chédeville s’engage à obtenir du gouvernement une subvention de la moitié des dépenses… Vous savez qu’il est l’ami de l’empereur. Il n’aura qu’à lui parler de nous, au dessert.

Lengaigne lui-même en fut ébranlé, tous les visages avaient pris une expression béate, comme si le saint-sacrement passait. Et la réélection du député se trouvait