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LES ROUGON-MACQUART.

gent accordé aux uns, que de la rage médisante des autres. Et la Bécu, chaque jour, tenait Cœlina au courant de ce que disait Flore Lengaigne ; non, pour les fâcher, bien sûr ; mais, au contraire, pour les faire s’expliquer, parce que c’était la meilleure façon de s’entendre. Des femmes s’oubliaient, droites, les bras ballants, leurs cruches pleines à leurs pieds.

— Alors donc, elle a dit comme ça que c’était arrangé entre l’adjoint et le maire, histoire de voler sur les terrains. Et elle a encore dit que votre homme avait deux paroles…

À ce moment, Flore sortait de chez elle, sa cruche à la main. Quand elle fut là, grosse, molle, Cœlina, qui éclatait tout de suite en paroles sales, les poings sur les hanches, dans son honnêteté rêche, se mit à l’arranger de la belle façon, lui jetant au nez sa garce de fille, l’accusant elle-même de se faire culbuter par les pratiques ; et l’autre, traînant ses savates, pleurarde, se contentait de répéter :

— En v’là une salope ! en v’là une salope !

La Bécu se précipita entre elles, voulut les forcer à s’embrasser, ce qui faillit les faire se prendre au chignon. Puis, elle lança une nouvelle :

— Dites donc, à propos, vous savez que les filles Mouche vont toucher cinq cents francs.

— Pas possible !

Et, du coup, la querelle fut oubliée, toutes se rapprochèrent, au milieu des cruches éparses. Parfaitement ! le chemin, aux Cornailles, là-haut, longeait le champ des filles Mouche, qu’il rognait de deux cent cinquante mètres : à quarante sous le mètre, ça faisait bien cinq cents francs ; et le terrain, en bordure, acquérait en outre une plus-value. C’était une chance.

— Mais alors, dit Flore, voilà Lise devenue un vrai parti, avec son mioche… Ce grand serin de Caporal a eu du nez tout de même de s’obstiner.

— À moins, ajouta Cœlina, que Buteau ne reprenne la place… Sa part gagne aussi joliment, à cette route.