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LA TERRE.

chargée comme au départ, car elle rapportait ses paniers pleins de crottin ramassé en route. Chez le pharmacien de la rue Grande, parmi les dorures, Palmyre, éreintée et debout, attendait qu’on lui préparât une potion pour son frère, malade depuis une semaine : quelque sale drogue qui lui mangeait vingt sous, sur les quarante si durement gagnés. Mais ce qui fit hâter le pas flâneur des filles Mouche et de leur société, ce fut d’apercevoir Jésus-Christ, très soûl, tenant la largeur de la rue. On croyait savoir qu’il avait emprunté, ce jour-là, en hypothéquant sa dernière pièce de terre. Il riait tout seul, des pièces de cent sous tintaient dans ses grandes poches.

Comme on arrivait enfin au Bon Laboureur, Buteau dit simplement, d’un air gaillard :

— Alors, vous partez ?… Écoute donc, Lise, si tu restais avec ta sœur, pour que nous mangions un morceau ?

Elle fut surprise, et comme elle se tournait vers Jean, il ajouta :

— Jean aussi peut rester, ça me fera plaisir.

Rose et Fanny échangèrent un coup d’œil. Certainement, le garçon avait son idée. Sa figure ne contait toujours rien. N’importe ! il ne fallait pas gêner les choses.

— C’est ça, dit Fanny, restez… Moi, je vais filer avec la mère. On nous attend.

Françoise, qui n’avait pas lâché la vache, déclara sèchement :

— Moi aussi, je m’en vais.

Et elle s’entêta. Elle s’agaçait à l’auberge, elle voulait emmener sa bête tout de suite. On dut céder, tellement elle devenait désagréable. Dès qu’on eut attelé, la vache fut attachée derrière la voiture, et les trois femmes montèrent.

À cette minute seulement, Rose, qui attendait une confession de son fils, s’enhardit à lui demander :

— Tu ne fais rien dire à ton père ?

— Non, rien, répondit Buteau.

Elle le regardait dans les yeux, elle insista.

— C’est donc qu’il n’y a pas de nouveau ?