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LA TERRE.

reçue, cette gueuse, en la chargeant de dire à son père que, si, le soir, il n’apportait pas ses cinquante francs, comme son frère Buteau, on lui enverrait l’huissier.

— Histoire de l’effrayer, car le pauvre garçon, tout de même, n’est pas méchant, ajouta Rose, qui s’attendrissait déjà, dans sa préférence pour son aîné.

À la nuit tombante, Fouan étant rentré dîner, elle recommença à table, pendant qu’il mangeait, la tête basse, muet. Était-ce Dieu possible, cela, que de leurs six cents francs ils eussent seulement les deux cents francs de Delhomme, à peine cent francs de Buteau, rien du tout de Jésus-Christ, ce qui faisait juste la moitié de la rente ! Et les bougres avaient signé chez le notaire, c’était écrit, déposé à la justice ! Ils s’en fichaient bien, de la justice !

Palmyre qui, dans l’obscurité, achevait d’essuyer le carreau de la cuisine, répondait la même phrase à chaque plainte, comme un refrain de misère.

— Ah ! sûr, chacun a son mal, on en crève !

Rose se décidait enfin à allumer, lorsque la Grande entra, avec son tricot. Dans ces longs jours, il n’y avait point de veillée ; mais, pour ne pas même user un bout de chandelle, elle venait passer chez son frère l’heure de nuit, avant d’aller se coucher à tâtons. Tout de suite, elle s’installa, et Palmyre, qui avait encore à récurer des pots et des casseroles, ne souffla plus, saisie de voir sa grand’mère.

— Si tu as besoin d’eau chaude, ma fille, reprit Rose, entame un fagot.

Elle se contint un instant, s’efforça de parler d’autre chose ; car, devant la Grande, les Fouan évitaient de se plaindre, sachant qu’ils lui faisaient plaisir, quand ils regrettaient tout haut de s’être dépouillés. Mais la passion l’emporta.

— Et va, tu peux mettre le fagot entier, si on appelle ça un fagot. Des brindilles de bois mort, des rognures de haies !… Faut vraiment que Fanny ratisse son bûcher, pour nous envoyer de la pourriture pareille.

Fouan, resté à la table, devant un verre plein, sortit