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LES ROUGON-MACQUART.

— Peut-être que ça ne paraît guère, mais n’empêche que j’ai quelque chose de mauvais dans le sac. Je tousse, je sens que je m’en vas… Encore, quand on a du bouillon ! Mais, quand on n’a pas du bouillon, on claque, hein ? c’est la vérité… Bien sûr que je vous payerais, si j’avais de l’argent. Dites-moi où il y en a, que je vous en donne, et que je commence par me mettre un pot-au-feu. V’là quinze jours que je n’ai point vu de viande.

Rose commençait à s’émouvoir, tandis que Fouan se fâchait davantage.

— T’as tout bu, feignant, propre à rien, tant pis pour toi ! De si belles terres, qui étaient dans la famille depuis des ans et des ans, tu les as mises en gage ! Oui, il y a des mois que, toi et ta garce de fille, vous faites la noce, et si c’est fini, à cette heure, crevez donc !

Jésus-Christ n’hésita plus, il sanglota.

— Ce n’est pas d’un père, ce que vous dites. Faut être dénaturé pour renier son enfant… Moi, j’ai bon cœur, c’est ce qui causera ma perte… Si vous n’aviez pas d’argent ! mais puisque vous en avez, est-ce que ça se refuse, une aumône à un fils ?… J’irai mendier chez les autres, ce sera du propre, ah ! oui, du propre !

Et, à chaque phrase, lâchée au milieu de ses larmes, il jetait sur l’assiette un regard oblique, qui faisait trembler le vieux. Puis, feignant d’étouffer, il ne poussa plus que des cris assourdissants d’homme qu’on égorge.

Rose, bouleversée, gagnée par les sanglots, joignit les mains, pour supplier Fouan.

— Voyons, mon homme…

Mais ce dernier, se débattant, refusant encore, l’interrompit.

— Non, non, il se fout de nous… Veux-tu te taire, animal ? Est-ce qu’il y a du bon sens à gueuler ainsi ? Les voisins vont venir, tu nous rends tous malades.

Cela ne fit que redoubler les clameurs de l’ivrogne, qui beugla :

— Je ne vous ai pas dit… L’huissier vient demain saisir chez moi. Oui, pour un billet que j’ai signé à Lambour-