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LES ROUGON-MACQUART.

était un enfer : d’un côté, Lise qui s’entêtait sur une vieille chaise, à se tortiller, en geignant ; de l’autre, la Coliche qui ne jetait qu’un cri, dans des frissons et des sueurs, d’un caractère de plus en plus grave. La seconde vache, Rougette, s’était mise à meugler de peur. Françoise alors perdit la tête, et Buteau, jurant, gueulant, voulut tirer encore. Il appela deux voisins, on tira à six, comme pour déraciner un chêne, avec une corde neuve, qui ne cassa pas, cette fois. Mais la Coliche, ébranlée, tomba sur le flanc et resta dans la paille, allongée, soufflante, pitoyable.

— Le bougre, nous ne l’aurons pas ! déclara Buteau en nage, et la garce y passera avec lui !

Françoise joignit les mains, suppliante.

— Oh ! va chercher monsieur Patoir !… Ça coûtera ce que ça coûtera, va chercher monsieur Patoir !

Il était devenu sombre. Après un dernier combat, sans répondre un mot, il sortit la carriole.

La Frimat, qui affectait de ne plus s’occuper de la vache, depuis qu’on reparlait du vétérinaire, s’inquiétait maintenant de Lise. Elle était bonne aussi pour les accouchements, toutes les voisines lui passaient par les mains. Et elle semblait soucieuse, elle ne cachait point ses craintes à la Bécu, qui rappela Buteau, en train d’atteler.

— Écoutez… Elle souffre beaucoup, votre femme. Si vous rameniez aussi un médecin.

Il demeura muet, les yeux arrondis. Quoi donc ? encore une qui voulait se faire dorloter ! Bien sûr qu’il ne payerait pas pour tout le monde !

— Mais non ! mais non ! cria Lise entre deux coliques. Ça ira toujours, moi ! On n’a pas d’argent à jeter par les fenêtres.

Buteau se hâta de fouetter son cheval, et la carriole se perdit sur la route de Cloyes, dans la nuit tombante.

Lorsque, deux heures plus tard, Patoir arriva enfin, il trouva tout au même point, la Coliche râlant sur le flanc, et Lise se tordant comme un ver, à moitié glissée de sa chaise. Il y avait vingt-quatre heures que les choses duraient.