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LA TERRE.

— Pour laquelle, voyons ? demanda le vétérinaire, qui était d’esprit jovial.

Et, tout de suite, tutoyant Lise :

— Alors, ma grosse, si ce n’est pas pour toi, fais-moi le plaisir de te coller dans ton lit. Tu en as besoin.

Elle ne répondit pas, elle ne s’en alla pas. Déjà, il examinait la vache.

— Fichtre ! elle est dans un foutu état, votre bête. Vous venez toujours me chercher trop tard… Et vous avez tiré, je vois ça. Hein ? vous l’auriez plutôt fendue en deux, que d’attendre, sacrés maladroits !

Tous l’écoutaient, la mine basse, l’air respectueux et désespéré ; et, seule, la Frimat pinçait les lèvres, pleine de mépris. Lui, ôtant son paletot, retroussant ses manches, rentrait les pieds, après les avoir noués d’une ficelle, pour les ravoir ; puis, il plongea la main droite.

— Pardi ! reprit-il au bout d’un instant, c’est bien ce que je pensais : la tête se trouve repliée à gauche, vous auriez pu tirer jusqu’à demain, jamais il ne serait sorti… Et, vous savez, mes enfants, il est fichu, votre veau. Je n’ai pas envie de me couper les doigts à ses quenottes, pour le retourner. D’ailleurs, je ne l’aurais pas davantage, et j’abîmerais la mère.

Françoise éclata en sanglots.

— Monsieur Patoir, je vous en prie, sauvez notre vache… Cette pauvre Coliche qui m’aime…

Et Lise, qu’une tranchée verdissait, et Buteau, bien portant, si dur au mal des autres, se lamentaient, s’attendrissaient, dans la même supplication.

— Sauvez notre vache, notre vieille vache qui nous donne de si bon lait, depuis des années et des années… Sauvez-la, monsieur Patoir…

— Mais, entendons-nous bien, je vas être forcé de découper le veau.

— Ah ! le veau, on s’en fout, du veau !… Sauvez notre vache, monsieur Patoir, sauvez-la !

Alors, le vétérinaire, qui avait apporté un grand tablier bleu, se fit prêter un pantalon de toile ; et, s’étant mis tout