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LES ROUGON-MACQUART.

étiez gentils, vous me donneriez un coup de main pour avancer le parc.

Jean et Tron consentirent. Dans les grands chaumes, le parc voyageait, ne restait guère plus de deux ou trois jours à la même place, juste le temps laissé aux moutons de tondre les herbes folles ; et ce système avait en outre l’avantage de fumer les terres, morceau à morceau. Pendant que le berger, aidé de ses chiens, gardait le troupeau, les deux hommes et le petit porcher arrachèrent les crosses, transportèrent les claies à une cinquantaine de pas ; et, de nouveau, ils les fixèrent sur un vaste carré, où les bêtes vinrent se réfugier d’elles-mêmes, avant qu’il fût fermé complètement.

Déjà, Soulas, malgré son grand âge, poussait sa voiture, la ramenait près du parc. Puis, parlant de Jean, il demanda :

— Qu’est-ce qu’il a donc ? On dirait qu’il porte le bon Dieu en terre.

Et, comme le garçon hochait tristement la tête, malade depuis qu’il croyait avoir perdu Françoise, le vieux ajouta :

— Hein ? il y a quelque femelle, là-dessous… Ah ! les sacrées gouines, on devrait leur tordre le cou à toutes !

Tron, avec ses membres de colosse, son air innocent de beau gaillard, se mit à rire.

— Ça se dit, ça, quand on ne peut plus.

— Je ne peux plus, je ne peux plus, répéta le berger dédaigneux, est-ce que j’ai essayé avec toi ?… Et, tu sais, mon fils, il y en a une avec qui tu ferais mieux de ne pas pouvoir, car ça tournera à du vilain, pour sûr !

Cette allusion à ses rapports avec madame Jacqueline, fit rougir le valet jusqu’aux oreilles. Un matin, Soulas les avait surpris ensemble, au fond de la grange, derrière des sacs d’avoine. Et, dans sa haine de cette ancienne laveuse de vaisselle, mauvaise aujourd’hui pour ses anciens camarades, il s’était enfin décidé à ouvrir les yeux du maître ; mais, dès le premier mot, celui-ci l’avait regardé d’un air si terrible, qu’il était redevenu muet, résolu à ne parler