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LES ROUGON-MACQUART.

de go la culbute avec Françoise. Ils causèrent du beau temps, du bien que ça faisait à la vigne. Encore huit jours de soleil, et le vin serait bon. Puis, le jeune homme voulut lui être agréable.

— Vous êtes un vrai bourgeois, il n’y a pas un propriétaire dans le pays si heureux que vous.

— Oui, pour sûr.

— Ah ! quand on a des enfants comme les vôtres, car on irait loin sans en trouver de meilleurs !

— Oui, oui… Seulement, vous savez, chacun a son caractère.

Il s’était assombri davantage. Depuis qu’il habitait chez les Delhomme, Buteau ne lui payait plus la rente, en disant qu’il ne voulait pas que son argent allât profiter à sa sœur. Jésus-Christ n’avait jamais donné un sou, et quant à Delhomme, comme il nourrissait et couchait son beau-père, il avait cessé tout versement. Mais ce n’était point du manque d’argent de poche que souffrait le vieux, d’autant plus qu’il touchait, chez maître Baillehache, les cent cinquante francs annuels, juste douze francs cinquante par mois, qui lui venaient de la vente de sa maison. Avec cela, il pouvait se payer des douceurs, ses deux sous de tabac chaque matin, sa goutte chez Lengaigne, sa tasse de café chez Macqueron ; car Fanny, très regardante, ne tirait le café et l’eau-de-vie de son armoire que lorsqu’on était malade. Et, malgré tout, bien qu’il eût de quoi s’amuser au-dehors et qu’il ne manquât de rien chez sa fille, il s’y déplaisait, il n’y vivait maintenant que dans le chagrin.

— Ah ! dame, oui, reprit Jean, sans savoir qu’il mettait le doigt sur la plaie vive, lorsqu’on est chez les autres, on n’est plus chez soi.

— C’est ça, c’est bien ça ! répéta Fouan d’une voix qui grondait.

Et, se levant, comme pris d’un besoin de révolte :

— Nous allons boire un coup… J’ai peut-être le droit d’offrir un verre à un ami !

Mais, dès le seuil, une peur lui revint.