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LES ROUGON-MACQUART.

— Faut y mettre du sien, répétait Jean, à chaque plainte. Avec de la patience, on s’entend toujours.

Mais Fouan, qui venait d’allumer une chandelle, s’excitait, s’emportait.

— Non, non, j’en ai assez !… Ah ! si j’avais su ce qui m’attendait ici ! J’aurais mieux fait de crever, le jour où j’ai vendu ma maison… Seulement, ils se trompent, s’ils croient me tenir. J’aimerais mieux casser des pierres sur la route.

Il suffoqua, il dut s’asseoir, et le jeune homme en profita pour parler enfin.

— Dites donc, père Fouan, je voulais vous voir à cause de l’affaire, vous savez. J’ai eu bien du regret, j’ai dû me défendre, n’est-ce pas ? puisque l’autre m’attaquait… N’empêche que j’étais d’accord avec Françoise, et il n’y a que vous, à cette heure, qui puissiez arranger ça… Vous iriez chez Buteau, vous lui expliqueriez la chose.

Le vieux était devenu grave. Il hochait le menton, l’air embarrassé pour répondre, lorsque le retour des Delhomme lui en évita la peine. Ils ne parurent pas surpris de trouver Jean chez eux, ils lui firent le bon accueil accoutumé. Mais, du premier coup d’œil, Fanny avait vu la bouteille et les deux verres sur la table. Elle les enleva, alla prendre un torchon. Puis, sans le regarder, elle dit sèchement, elle qui ne lui avait pas adressé la parole depuis quarante-huit heures :

— Père, vous savez bien que je ne veux pas ça.

Fouan se redressa, tremblant, furieux de cette observation devant du monde.

— Quoi encore ? Est-ce que, nom de Dieu ! je ne suis pas libre d’offrir un verre à un ami ?… Enferme-le, ton vin ! je boirai de l’eau.

Du coup, ce fut elle qui se vexa horriblement d’être ainsi accusée d’avarice. Elle répondit, toute pâle :

— Vous pouvez boire la maison et en crever, si ça vous amuse… Ce que je ne veux pas, c’est que vous salissiez ma table, avec vos verres qui dégoulinent et qui font des ronds, comme au cabaret.