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LA TERRE.

— Je vous en prie, mon oncle, ne vous en mêlez point… Vous avez bien vu que je suis assez grande fille pour me défendre.

Mais le vieux l’écarta.

— Laisse, ça ne te regarde plus… C’est mon affaire.

Et, levant sa canne :

— Ah ! tu cognerais, bandit !… Faudrait voir si ce n’est pas à moi de te corriger.

D’une main prompte, Buteau lui arracha le bâton, qu’il envoya sous l’armoire ; et, goguenard, les yeux mauvais, il se planta, lui parla dans le visage.

— Voulez-vous me foutre la paix, hein ? Si vous croyez que je vais tolérer vos airs, ah ! non ! Regardez-moi donc, pour voir comment je m’appelle !

Tous les deux, face à face, se turent un instant, terribles, cherchant à se dompter du regard. Le fils, depuis le partage des biens, s’était élargi, carré sur les jambes, avec ses mâchoires qui avançaient davantage, dans sa tête de dogue, au crâne resserré et fuyant ; tandis que le père, exterminé par ses soixante ans de travail, séché encore, la taille cassée, n’avait gardé de son visage réduit que le nez immense.

— Comment tu t’appelles ? reprit Fouan, je le sais trop, je t’ai fait.

Buteau ricana.

— Fallait pas me faire… Ah ! mais, oui ! ça y est, chacun son tour. Je suis de votre sang, je n’aime pas qu’on me taquine… Et encore un coup, foutez-moi la paix, ou ça tournera mal !

— Pour toi, bien sûr… Jamais je n’ai parlé ainsi à mon père.

— Oh ! la, la, en voilà une raide !… Votre père, vous l’auriez crevé, s’il n’était pas mort !

— Sale cochon, tu mens !… Et, nom de Dieu de nom de Dieu ! tu vas ravaler ça tout de suite.

Françoise, une seconde fois, tenta de s’interposer. Lise elle-même fit un effort, effrayée, désespérée de ce nouveau tracas. Mais les deux hommes les bousculèrent, pour