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LA TERRE.

pour lui faire la conduite. Bref, de la bonne gaieté, quelque chose de sain, qui rafraîchissait.

Et l’on achevait le pain et le fromage, lorsque Macqueron parut sur la route du bas, avec l’abbé Madeline. Du coup, l’on oublia Suzanne, il n’y eut plus de regards que pour le curé. Franchement, l’impression ne fut guère favorable : l’air d’une vraie perche, triste comme s’il portait le bon Dieu en terre. Cependant, il saluait devant chaque vigne, il disait un mot aimable à chacun, et l’on finit par le trouver bien poli, bien doux, pas fort enfin. On le ferait marcher, celui-là ! ça irait mieux qu’avec ce mauvais coucheur d’abbé Godard. Derrière son dos, on commençait à s’égayer. Il était arrivé en haut de la côte, il restait immobile, à regarder l’immensité plate et grise de la Beauce, pris d’une sorte de peur, d’une mélancolie désespérée, qui mouillèrent ses grands yeux clairs de montagnard, habitués aux horizons étroits des gorges de l’Auvergne.

Justement, la vigne des Buteau se trouvait là. Lise et Françoise coupaient les grappes, et Jésus-Christ qui n’avait pas manqué d’amener le père, était déjà soûl du raisin dont il se gorgeait, en ayant l’air de s’occuper à vider les paniers dans les hottes. Ça cuvait si fort dans sa peau, ça le gonflait d’un tel gaz, qu’il lui sortait du vent par tous les trous. Et, la présence d’un prêtre l’excitant, il fut incongru.

— Bougre de mal élevé ! lui cria Buteau. Attends au moins que monsieur le curé soit parti.

Mais Jésus-Christ n’accepta pas la réprimande. Il répondit en homme qui avait de l’usage, quand il voulait :

— Ce n’est pas à son intention, c’est pour mon plaisir.

Le père Fouan avait pris un siège par terre, comme il disait, las, heureux du beau temps et de la belle vendange. Il ricana en dessous, malicieusement, de ce que la Grande, dont la vigne était voisine, venait lui souhaiter le bonjour : celle-là aussi s’était remise à le considérer, depuis qu’elle lui savait des rentes. Puis, d’un saut, elle le quitta, en voyant de loin son petit-fils Hilarion profiter