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LES ROUGON-MACQUART.

tous les hommes d’ordre devaient soutenir le gouvernement. Cette profession de foi suffisait, sans qu’il eût besoin d’endoctriner les membres du conseil ; car, dans la crainte des coups de balai, ils étaient toujours du côté du manche, résolus à se donner au plus fort, au maître, pour que rien ne changeât et que le blé se vendît cher. Delhomme, l’honnête, le juste, dont c’était l’opinion, entraînait Clou et les autres. Et, ce qui achevait de compromettre Hourdequin, Lengaigne seul était avec lui, exaspéré de l’importance prise par Macqueron. La calomnie s’en mêla, on accusa le fermier d’être « un rouge », un de ces gueux qui voulaient la république, pour exterminer le paysan ; si bien que l’abbé Madeline, effaré, croyant devoir sa cure à l’adjoint, recommandait lui-même M. Rochefontaine, malgré la sourde protection de monseigneur acquise à M. de Chédeville. Mais un dernier coup ébranla le maire, le bruit courut que, lors de l’ouverture du fameux chemin direct de Rognes à Châteaudun, il avait mis dans sa poche la moitié de la subvention votée. Comment ? on ne l’expliquait pas, l’histoire en demeurait mystérieuse et abominable. Quand on l’interrogeait là-dessus, Macqueron prenait l’air effrayé, douloureux et discret d’un homme dont certaines convenances fermaient la bouche ; c’était lui, simplement, qui avait inventé la chose. Enfin, la commune était bouleversée, le conseil municipal se trouvait coupé en deux, d’un côté l’adjoint et tous les conseillers, sauf Lengaigne, de l’autre le maire, qui comprit seulement alors la gravité de la situation.

Depuis quinze jours déjà, dans un voyage à Châteaudun, fait exprès, Macqueron était allé s’aplatir devant M. Rochefontaine. Il l’avait supplié de ne pas descendre ailleurs que chez lui, s’il daignait venir à Rognes. Et c’était pourquoi le cabaretier, ce dimanche-là, après le déjeuner, ne cessait de sortir sur la route, aux aguets de son candidat. Il avait prévenu Delhomme, Clou, d’autres conseillers municipaux, qui vidaient un litre, pour patienter. Le père Fouan et Bécu se trouvaient également là, à faire une partie, ainsi que Lequeu, le maître d’école, s’acharnant