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LES ROUGON-MACQUART.

Si, à leur tour, ses enfants désiraient la sienne, il n’en ressentait ni étonnement ni chagrin. Ça devait être.

Lorsqu’un voisin lui demandait :

— Eh bien ! père Fouan, vous allez donc toujours ?

— Ah ! grognait-il, c’est bougrement long de crever, et ce n’est pourtant pas la bonne volonté qui manque !

Et il disait vrai, dans son stoïcisme de paysan qui accepte la mort, qui la souhaite, dès qu’il redevient nu et que la terre le reprend.

Une souffrance encore l’attendait. Jules se dégoûta de lui, détourné par la petite Laure. Celle-ci, lorsqu’elle le voyait avec le grand-père, semblait jalouse. Il les embêtait, ce vieux ! c’était plus amusant de jouer ensemble. Et, si son frère ne la suivait pas, elle se pendait à ses épaules, l’emmenait. Ensuite, elle se faisait si gentille, qu’il en oubliait son service de ménagère complaisante. Peu à peu, elle se l’attacha complètement, en vraie femme déjà qui s’était donné la tâche de cette conquête.

Un soir, Fouan était allé attendre Jules devant l’école, si las, qu’il avait songé à lui, pour remonter la côte. Mais Laure sortit avec son frère ; et, comme le vieux, de sa main tremblante, cherchait la main du petit, elle eut un rire méchant.

— Le v’là encore qui t’embête, lâche-le donc !

Puis, se tournant vers les autres galopins :

— Hein ? est-il couenne de se laisser embêter !

Alors, Jules, au milieu des huées, rougit, voulut faire l’homme, s’échappa d’un saut, en criant le mot de sa sœur à son vieux compagnon de promenades :

— Tu m’embêtes !

Effaré, les yeux obscurcis de larmes, Fouan trébucha, comme si la terre lui manquait, avec cette petite main qui se retirait de lui. Les rires augmentaient, et Laure força Jules à danser autour du vieillard, à chanter sur un air de ronde enfantine :

— Tombera, tombera pas… son pain sec mangera, qui le ramassera…

Fouan, défaillant, mit près de deux heures à rentrer