Page:Emile Zola - La Terre.djvu/435

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
435
LA TERRE.

faisait, sans en être souvent plus heureux. Il reprit les mancherons, il jeta son cri guttural.

— Dia hue ! hep !

Jean achevait son labour, lorsque Delhomme, qui revenait à pied d’une ferme voisine, s’arrêta au bord du champ.

— Dites donc, Caporal, vous savez la nouvelle… Paraît qu’on va avoir la guerre.

Il lâcha la charrue, il se releva, saisi, étonné du coup qu’il recevait au cœur.

— La guerre, comment ça ?

— Mais avec les Prussiens, à ce qu’on m’a dit… C’est dans les journaux.

Les yeux fixes, Jean revoyait l’Italie, les batailles de là-bas, ce massacre dont il avait été si heureux de se tirer, sans une blessure. À cette époque, de quelle ardeur il aspirait à vivre tranquille, dans son coin ! et voilà que cette parole, criée d’une route par un passant, cette idée de la guerre lui allumait tout le sang du corps !

— Dame ! si les Prussiens nous emmerdent… On ne peut pas les laisser se foutre de nous.

Delhomme n’était pas de cet avis. Il hocha la tête, il déclara que ce serait la fin des campagnes, si l’on y revoyait les Cosaques, comme après Napoléon. Ça ne rapportait rien, de se cogner : valait mieux s’entendre.

— Ce que j’en dis, c’est pour les autres… J’ai mis de l’argent chez M. Baillehache. Quoi qu’il arrive, Nénesse, qui tire demain, ne partira pas.

— Bien sûr, conclut Jean, calmé. C’est comme moi, qui ne leur dois plus rien et qui suis marié à cette heure, je m’en fiche qu’ils se battent !… Ah ! c’est avec les Prussiens ! Eh bien ! on leur allongera une raclée, voilà tout !

— Bonsoir, Caporal !

— Bonsoir !

Delhomme repartit, s’arrêta plus loin pour crier de nouveau la nouvelle, la cria plus loin une troisième fois ; et la menace de guerre prochaine vola par la Beauce, dans la grande tristesse du ciel de cendre.