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LES ROUGON-MACQUART.

le remplaçât. Et, là-dessus, le mariage de Berthe Macqueron venait de détruire un ancien espoir, des calculs lointains qu’il croyait près d’aboutir. Ah ! ces paysans, cette sale race qui lui refusait ses filles, et qui allait le priver de son pain, pour l’oreille d’une gamine !

Brusquement, comme s’il était au milieu de sa classe, il tapa son livre dans sa main ouverte, il cria aux conscrits :

— Un peu de silence, nom de Dieu !… Ça vous paraît donc bien drôle, de vous faire casser la gueule par les Prussiens ?

On s’étonna, on tourna les yeux vers lui. Certes, non, ce n’était pas drôle. Tous en convinrent, Delhomme répéta cette idée que chacun devrait défendre son champ. Si les Prussiens venaient en Beauce, ils verraient bien que les Beaucerons n’étaient pas des lâches. Mais, s’en aller se battre pour les champs des autres, non, non ! ce n’était pas drôle !

Justement, Delphin, suivi de Nénesse, arrivait, très rouge, les yeux brûlants de fièvre. Il entendit, il s’attabla avec les camarades, en criant :

— C’est ça, qu’ils viennent, les Prussiens, et ce qu’on en démolira !

On avait remarqué le mouchoir ficelé autour de son poing, on le questionnait. Rien, une coupure. Violemment, de son autre poing, il ébranla la table, il commanda un litre.

Canon et Jésus-Christ regardaient ces garçons, sans colère, d’un air de pitié supérieure. Eux aussi jugeaient qu’il fallait être jeune et joliment bête. Même Canon finit par s’attendrir, dans son idée d’organiser le bonheur futur. Il parla tout haut, le menton entre les deux mains.

— La guerre, ah ! foutre, il est temps que nous soyons les maîtres… Vous savez mon plan. Plus de service militaire, plus d’impôt. À chacun la satisfaction complète de ses appétits, pour le moins de travail possible… Et ça va venir, le jour approche où vous garderez vos sous et vos petits, si vous êtes avec nous.