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LA TERRE.

s’engageât sur le cadavre à peine refroidi de Françoise. Maintenant, tous les deux se dirigeaient vers la maison, du même pas résolu ; et, de biais, ils se dévisageaient. On allait voir. Du premier coup d’œil, Jean comprit pourquoi Lise n’était pas allée au convoi. Elle avait voulu rester seule, afin d’emménager, en gros du moins. Une heure venait de lui suffire, jetant les paquets par-dessus le mur de la Frimat, brouettant ce qui aurait pu se casser. D’une claque enfin, elle avait ramené dans la cour Laure et Jules, qui s’y battaient déjà, tandis que le père Fouan, poussé aussi par elle, soufflait sur le banc. La maison était reconquise.

— Où vas-tu ? demanda brusquement Buteau, en arrêtant Jean devant la porte.

— Je rentre chez moi.

— Chez toi ! où ça, chez toi ?… Pas ici, toujours. Ici, nous sommes chez nous.

Lise était accourue ; et, les poings sur les hanches, elle gueulait, plus violente, plus injurieuse que son homme.

— Hein ? quoi ? qu’est-ce qu’il veut, ce pourri ?… Y avait assez longtemps qu’il empoisonnait ma pauvre sœur, à preuve que, sans ça, elle ne serait pas morte de son accident, et qu’elle a montré sa volonté, en ne lui rien laissant de son bien… Tape donc dessus, Buteau ! Qu’il ne rentre pas, il nous foutrait la maladie !

Jean, suffoqué de cette rude attaque, tâcha encore de raisonner.

— Je sais que la maison et la terre vous reviennent. Mais j’ai à moi la moitié sur les meubles et les bêtes…

— La moitié, tu as le toupet ! reprit Lise, en l’interrompant. Sale maquereau, tu oserais prendre la moitié de quelque chose, toi qui n’as seulement pas apporté ici ton démêloir et qui n’y es entré qu’avec ta chemise sur le cul. Faut donc que les femmes te rapportent, un beau métier de cochon !

Buteau l’appuyait, et d’un geste qui balayait le seuil :

— Elle a raison, décampe !… Tu avais ta veste et ta culotte, va-t’en avec, on ne te les retient pas.