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VI


Deux jours après, le matin même où le père Fouan devait être enterré, Jean, las d’une nuit d’insomnie, s’éveilla très tard, dans la petite chambre qu’il occupait chez Lengaigne. Il n’était pas allé encore à Châteaudun, pour le procès, dont l’idée seule l’empêchait de quitter Rognes ; chaque soir, il remettait l’affaire au lendemain, hésitant davantage, à mesure que sa colère se calmait ; et c’était un dernier combat qui l’avait tenu éveillé, fiévreux, ne sachant quelle décision prendre.

Ces Buteau ! des brutes meurtrières, des assassins, dont un honnête homme aurait dû faire couper la tête ! À la première nouvelle de la mort du vieux, il avait bien compris le mauvais coup. Les gredins, parbleu ! venaient de le griller vif, pour l’empêcher de causer. Françoise, Fouan : de tuer l’une, ça les avait forcés de tuer l’autre. À qui le tour, maintenant ? Et il songeait que c’était son tour : on le savait dans le secret, on lui enverrait sûrement du plomb, au coin d’un bois, s’il s’obstinait à habiter le pays. Alors, pourquoi ne pas les dénoncer tout de suite ? Il s’y décidait, il irait conter l’histoire aux gendarmes, dès son lever. Puis, l’hésitation le reprenait, une méfiance de cette grosse affaire où il serait témoin, une crainte d’en souffrir autant que les coupables. À quoi bon se créer des soucis encore ? Sans doute, ce n’était guère brave, mais il se donnait une excuse, il se répétait qu’en ne parlant pas, il obéissait à la volonté dernière de Françoise. Vingt fois dans la nuit, il voulut, il ne voulut plus, malade de ce devoir devant lequel il reculait.

Lorsque, vers neuf heures, Jean eut sauté du lit, il se trempa la tête dans une cuvette d’eau froide. Brusquement,