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LA TERRE.

il prit une résolution : il ne conterait rien, il ne ferait pas même de procès pour ravoir la moitié des meubles. Le jeu n’en vaudrait décidément pas la chandelle. Une fierté le remettait d’aplomb, content de ne point en être, de ces coquins, d’être l’étranger. Ils pouvaient bien se dévorer entre eux : un fameux débarras, s’ils s’avalaient tous ! La souffrance, le dégoût des dix années passées à Rognes, lui remontaient de la poitrine en un flot de colère. Dire qu’il était si joyeux, le jour où il avait quitté le service, après la guerre d’Italie, à l’idée de n’être plus un traîneur de sabre, un tueur de monde ! Et, depuis cette époque, il vivait dans de sales histoires, au milieu de sauvages. Dès son mariage, il en avait eu gros sur le cœur ; mais les voilà qui volaient, qui assassinaient, maintenant ! De vrais loups, lâchés au travers de la plaine, si grande, si calme ! Non, non ! c’était assez, ces bêtes dévorantes lui gâtaient la campagne ! Pourquoi en faire traquer un couple, la femelle et le mâle, lorsqu’on aurait dû détruire la bande entière ? Il préférait partir.

À ce moment, un journal que Jean avait monté la veille du cabaret, lui retomba sous les yeux. Il s’était intéressé à un article sur la guerre prochaine, ces bruits de guerre qui circulaient et épouvantaient depuis quelques jours ; et ce qu’il ignorait encore au fond de lui, ce que la nouvelle y avait éveillé d’inconscient, toute une flamme mal éteinte, renaissante, se ralluma d’un coup. Sa dernière hésitation à partir, la pensée qu’il ne savait où aller, en fut emportée, balayée comme par un grand souffle de vent. Eh donc ! il irait se battre, il se réengagerait. Il avait payé sa dette ; mais, quoi ? lorsqu’on n’a plus de métier, lorsque la vie vous embête et qu’on rage d’être taquiné par les ennemis, le mieux est encore de cogner sur eux. Tout un allègement, toute une joie sombre le soulevait. Il s’habilla, en sifflant fortement la sonnerie des clairons qui le menait à la bataille, en Italie. Les gens étaient trop canailles, ça le soulageait, l’espoir de démolir des Prussiens ; et, puisqu’il n’avait pas trouvé la paix dans ce coin, où les familles se buvaient le sang, autant valait-il qu’il