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LA TERRE.

gueilleuse, Fanny se soulagea, les traita d’assassins et de voleurs : oui ! ils avaient flambé le père, ils l’avaient volé, ça sautait aux yeux ! Violemment, les Buteau répondirent par des injures, par des accusations abominables. Ah ! on voulait leur faire arriver du mal ! et la soupe empoisonnée dont le vieux avait failli crever chez sa fille ? Ils en diraient long sur les autres, si l’on en disait sur eux. Jésus-Christ s’était remis à pleurer, à hurler de tristesse, en apprenant que de semblables forfaits étaient possibles. Nom de Dieu ! son pauvre père ! est-ce que, vraiment, il y avait des fils assez canailles pour rôtir leur père ! La Grande lâchait des mots, qui attisaient la querelle, quand ils étaient à bout de souffle. Alors, Delhomme, inquiet de cette scène, alla fermer les portes et les fenêtres. Il avait désormais sa situation officielle à défendre, il était toujours du reste pour les solutions raisonnables. Aussi finit-il par déclarer que de pareilles affaires n’étaient pas à dire. On serait bien avancé, si les voisins entendaient. On irait en justice, et les bons y perdraient peut-être plus que les mauvais. Tous se turent : il avait raison, ça ne valait rien de laver son linge sale devant les juges. Buteau les terrifiait, le brigand était bien capable de les ruiner. Et il y avait encore, au fond du crime accepté, du silence volontaire fait sur le meurtre et sur le vol, cette complicité des paysans avec les révoltés des campagnes, les braconniers, les tueurs de gardes-chasse, dont ils ont peur et qu’ils ne livrent pas.

La Grande demeura pour boire le café de la veillée, les autres partirent, impolis, comme on sort de chez des gens qu’on méprise. Mais les Buteau en riaient, du moment qu’ils tenaient l’argent, avec la certitude à cette heure de n’être plus tourmentés. Lise retrouva sa parole haute, et Buteau voulut faire les choses bien, commanda le cercueil, se rendit au cimetière s’assurer de la place où l’on creusait la fosse. Il faut dire qu’à Rognes les paysans qui se sont exécrés pendant leur vie, n’aiment pas à dormir côte à côte, quand ils sont morts. On suit les rangées, c’est au petit bonheur de la chance. Aussi, lorsque le hasard fait