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LES ROUGON-MACQUART.

était tout ébloui d’avoir longtemps regardé l’immense Beauce, les semeurs enfouissant le pain futur, d’un bout à l’autre de la plaine, jusqu’aux vapeurs lumineuses de l’horizon, où leurs silhouettes se perdaient. Pourtant, dans la terre, il distingua le cercueil, diminué encore, avec son étroit couvercle de sapin, de la couleur blonde du blé ; et des mottes grasses coulaient, le recouvraient à moitié, il ne voyait plus qu’une tache pâle, comme une poignée de ce blé que les camarades, là-bas, jetaient aux sillons. Il agita l’aspersoir, il le passa à Jésus-Christ.

— Monsieur le curé ! monsieur le curé ! appela discrètement Delhomme.

Il courait après l’abbé Godard, qui, la cérémonie finie, s’en allait de son pas de tempête, en oubliant ses deux enfants de chœur.

— Quoi encore ? demanda le prêtre.

— C’est pour vous remercier de votre obligeance… Dimanche, alors, on sonnera la messe à neuf heures, comme d’habitude, n’est-ce pas ?

Puis, le curé le regardant fixement, sans répondre, il se hâta d’ajouter :

— Nous avons une pauvre femme bien malade, et toute seule, et pas un liard… Rosalie, la rempailleuse, vous la connaissez… Je lui ai envoyé du bouillon, mais je ne peux pas tout faire.

Le visage de l’abbé Godard s’était détendu, un frisson de charité émue en avait emporté la violence. Il se fouilla avec désespoir, ne trouva que sept sous.

— Prêtez-moi cinq francs, je vous les rendrai dimanche… À dimanche !

Et il partit, suffoqué par une nouvelle hâte. Sûrement, le bon Dieu qu’on le forçait à rapporter, les enverrait tous rôtir en enfer, ces damnés de Rognes ; seulement, quoi ? ce n’était pas une raison pour les laisser trop souffrir dans cette vie.

Lorsque Delhomme retourna près des autres, il tomba au milieu d’une terrible querelle. D’abord, l’assistance s’était intéressée à suivre des yeux les pelletées de terre