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LA TERRE.

se tenait immobile, ses regards se noyaient d’un rêve, sa face entière de crucifié soûlard exprimait la mélancolie finale de toute philosophie. Peut-être songeait-il que l’existence s’en va en fumée. Et, comme les idées graves l’excitaient toujours beaucoup, il finit par lever la cuisse, inconsciemment, dans le vague de sa rêverie. Il en fit un, il en fit deux, il en fit trois.

— Nom de Dieu ! dit Bécu, très soûl, qui traversait le cimetière, pour se rendre au feu.

Un quatrième, comme il passait, l’effleura de si près, qu’il crut en sentir le tonnerre sur sa joue. Alors, en s’éloignant, il cria au camarade :

— Si ce vent-là continue, il va tomber de la merde.

Jésus-Christ, d’une poussée, se tâta.

— Tiens ! tout de même… J’ai faim de chier.

Et, les jambes lourdes, écartées, il se hâta, il disparut à l’angle du mur.

Jean était seul. Au loin, de la Borderie dévorée, ne montaient plus que de grandes fumées rousses, tourbillonnantes, qui jetaient des ombres de nuages au travers des labours, sur les semeurs épars. Et, lentement, il ramena les yeux à ses pieds, il regarda les bosses de terre fraîche, sous lesquelles Françoise et le vieux Fouan dormaient. Ses colères du matin, son dégoût des gens et des choses s’en allaient, dans un profond apaisement. Il se sentait, malgré lui, peut-être à cause du tiède soleil, envahi de douceur et d’espoir.

Eh ! oui, son maître Hourdequin s’était fait bien du mauvais sang avec les inventions nouvelles, n’avait pas tiré grand’chose de bon des machines, des engrais, de toute cette science si mal employée encore. Puis, la Cognette était venue l’achever ; lui aussi dormait au cimetière ; et rien ne restait de la ferme, dont le vent emportait les cendres. Mais, qu’importait ! les murs pouvaient brûler, on ne brûlerait pas la terre. Toujours la terre, la nourrice, serait là, qui nourrirait ceux qui l’ensemenceraient. Elle avait l’espace et le temps, elle donnait tout de même du blé, en attendant qu’on sût lui en faire donner davantage.