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LA TERRE.

— Ah ! oui, on m’a conté, reprit Jean. Alors, c’est décidé, le vieux partage son bien entre sa fille et ses deux fils ?

— C’est décidé, ils ont tous rendez-vous aujourd’hui chez monsieur Baillehache.

Elle regardait toujours fuir la carriole.

— Nous autres, nous nous en fichons, ça ne nous rendra ni plus gras ni plus maigres… Seulement, il y a Buteau. Ma sœur pense qu’il l’épousera peut-être, quand il aura sa part.

Jean se mit à rire.

— Ce sacré Buteau, nous étions camarades… Ah ! ça ne lui coûte guère, de mentir aux filles ! Il lui en faut quand même, il les prend à coups de poing, lorsqu’elles ne veulent pas par gentillesse.

— Bien sûr que c’est un cochon ! déclara Françoise d’un air convaincu. On ne fait pas à une cousine la cochonnerie de la planter là, le ventre gros.

Mais, brusquement, saisie de colère :

— Attends, la Coliche ! je vas te faire danser !… La voilà qui recommence, elle est enragée, cette bête, quand ça la tient !

D’une violente secousse, elle avait ramené la vache. À cet endroit, le chemin quittait le bord du plateau. La carriole disparut, tandis que tous deux continuèrent de marcher en plaine, n’ayant plus en face, à droite et à gauche, que le déroulement sans fin des cultures. Entre les labours et les prairies artificielles, le sentier s’en allait à plat, sans un buisson, aboutissant à la ferme, qu’on aurait cru pouvoir toucher de la main, et qui reculait, sous le ciel de cendre. Ils étaient retombés dans leur silence, ils n’ouvrirent plus la bouche, comme envahis par la gravité réfléchie de cette Beauce, si triste et si féconde.

Lorsqu’ils arrivèrent, la grande cour carrée de la Borderie, fermée de trois côtés par les bâtiments des étables, des bergeries et des granges, était déserte. Mais, tout de suite, sur le seuil de la cuisine, parut une jeune femme, petite, l’air effronté et joli.