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LA TERRE.

— Non !

Tout le corps du vieux paysan trembla. Il se grandit, il eut un dernier éclat de l’antique autorité.

— C’est bon, tu es un mauvais fils… Je vas donner leurs parts à ton frère et à ta sœur, et je leur louerai la tienne, et quand je mourrai, je m’arrangerai pour qu’ils la gardent… Tu n’auras rien, va-t’en !

Buteau ne broncha pas, dans son attitude raidie. Alors, Rose, à son tour, essaya de l’attendrir.

— Mais on t’aime autant que les autres, imbécile !… Tu boudes contre ton ventre. Accepte !

— Non !

Et il disparut, il monta se coucher.

Dehors, Lise et Françoise, encore saisies de cette scène, firent quelques pas en silence. Elles s’étaient reprises à la taille, elles se confondaient, toutes noires, dans le bleuissement nocturne de la neige. Mais Jean qui les suivait, également silencieux, les entendit bientôt pleurer. Il voulut leur rendre courage.

— Voyons, il réfléchira, il dira oui demain.

— Ah ! vous ne le connaissez pas, s’écria Lise. Il se ferait plutôt hacher que de céder… Non, non, c’est fini !

Puis, d’une voix désespérée :

— Qu’est-ce que je vais donc en faire, de son enfant ?

— Dame ! faut bien qu’il sorte, murmura Françoise.

Cela les fit rire. Mais elles étaient trop tristes, elles se remirent à pleurer.

Lorsque Jean les eut laissées à leur porte, il continua sa route, à travers la plaine. La neige avait cessé, le ciel était redevenu vif et clair, criblé d’étoiles, un grand ciel de gelée, d’où tombait un jour bleu, d’une limpidité de cristal ; et la Beauce, à l’infini, se déroulait, toute blanche, plate et immobile comme une mer de glace. Pas un souffle ne venait de l’horizon lointain, il n’entendait que la cadence de ses gros souliers sur le sol durci. C’était un calme profond, la paix souveraine du froid. Tout ce qu’il avait lu lui tournait dans la tête, il ôta sa casquette pour se rafraîchir, souffrant derrière les oreilles, ayant besoin de ne plus