Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/260

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insouciance habituelle, négligeait même d’aller voir le procureur de la République, pour causer de son cas, suffisamment renseigné par tout ce qu’on lui racontait, demandant à quoi bon remuer cette vilaine histoire, puisqu’il n’y avait plus rien de propre ni d’utile à en tirer.

Alors, à la Souleiade, l’avenir apparut menaçant. C’était la misère noire, à bref délai. Et Clotilde, très raisonnable au fond, fut la première à trembler. Elle gardait sa gaieté vive, tant que Pascal était là ; mais, plus prévoyante que lui, dans sa tendresse de femme, elle tombait à une véritable terreur, dès qu’il la quittait un instant, se demandant ce qu’il deviendrait, à son âge, chargé d’une maison si lourde. Tout un plan l’occupa en secret pendant plusieurs jours, celui de travailler, de gagner de l’argent, beaucoup d’argent, avec ses pastels. On s’était récrié tant de fois devant son talent singulier et si personnel, qu’elle mit Martine dans sa confidence et la chargea, un beau matin, d’aller offrir plusieurs de ses bouquets chimériques au marchand de couleurs du cours Sauvaire, qui était, affirmait-on, en relation de parenté avec un peintre de Paris. La condition formelle était de ne rien exposer à Plassans, de tout expédier au loin. Mais le résultat fut désastreux, le marchand resta effrayé devant l’étrangeté de l’invention, la fougue débridée de la facture, et il déclara que jamais ça ne se vendrait. Elle en fut désespérée, de grosses larmes lui vinrent aux yeux. À quoi servait-elle ? c’était un chagrin et une honte, de n’être bonne à rien ! Et il fallut que la servante la consolât, lui expliquât que toutes les femmes sans doute ne naissent pas pour travailler, que les unes poussent comme les fleurs dans les jardins, pour sentir bon, tandis que les autres sont le blé de la terre, qu’on écrase et qui nourrit.

Cependant, Martine ruminait un autre projet qui