Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/271

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homme voulut bien, par simple et bonne amitié, manger cette herbe dans sa main.

— Eh ! mais, dit-elle en riant, tu as encore de l’appétit, il ne faut pas chercher à nous attendrir… Bonsoir ! et dors tranquille !

Et ils le laissèrent sommeiller, après lui avoir l’un et l’autre, comme d’habitude, mis un gros baiser à gauche et à droite des naseaux.

La nuit tombait, ils eurent une idée, pour ne pas rester en bas, dans la maison vide : ce fut de tout barricader et d’emporter leur dîner, en haut, dans la chambre. Vivement, elle monta le plat de pommes de terre, avec du sel et une belle carafe d’eau pure ; tandis que lui se chargeait d’un panier de raisin, le premier qu’on eût cueilli à une treille précoce, en dessous de la terrasse. Ils s’enfermèrent, ils mirent le couvert sur une petite table, les pommes de terre au milieu, entre la salière et la carafe, et le panier de raisin sur une chaise, à côté. Et ce fut un gala merveilleux, qui leur rappela l’exquis déjeuner qu’ils avaient fait, au lendemain des noces, lorsque Martine s’était obstinée à ne pas leur répondre. Ils éprouvaient le même ravissement d’être seuls, de se servir eux-mêmes, de manger l’un contre l’autre, dans la même assiette.

Cette soirée de misère noire, qu’ils avaient tout fait au monde pour éviter, leur gardait les heures les plus délicieuses de leur existence. Depuis qu’ils étaient rentrés, qu’ils se trouvaient au fond de la grande chambre amie, comme à cent lieues de cette ville indifférente qu’ils venaient de battre, la tristesse et la crainte s’effaçaient, jusqu’au souvenir de la mauvaise après-midi, perdue en courses inutiles. L’insouciance les avait repris de ce qui n’était pas leur tendresse, ils ne savaient plus s’ils étaient pauvres ; s’ils auraient le lendemain à chercher un ami