Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/313

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forcé de conclure qu’aimer et être aimé passe tout au monde ? Il tombait par moments à de grandes réflexions, il continuait à ébaucher sa nouvelle théorie de l’équilibre des forces, qui consistait à établir que tout ce que l’homme reçoit en sensation, il doit le rendre en mouvement. Quelle vie normale, pleine et heureuse, si l’on avait pu la vivre entière, dans un fonctionnement de machine bien réglée, rendant en force ce qu’elle brûle en combustible, s’entretenant elle-même en vigueur et en beauté par le jeu simultané et logique de tous ses organes ! Il y voyait autant de labeur physique que de labeur intellectuel, autant de sentiment que de raisonnement, la part faite à la fonction génésique comme à la fonction cérébrale, sans jamais de surmenage, ni d’une part ni d’une autre, car le surmenage n’est que le déséquilibre et la maladie. Oui, oui ! recommencer la vie et savoir la vivre, bêcher la terre, étudier le monde, aimer la femme, arriver à la perfection humaine, à la cité future de l’universel bonheur, par le juste emploi de l’être entier, quel beau testament laisserait là un médecin philosophe ! Et ce rêve lointain, cette théorie entrevue achevait de l’emplir d’amertume, à la pensée que, désormais, il n’était plus qu’une force gaspillée et perdue.

Au fond même de son chagrin, Pascal avait cette sensation dominante qu’il était fini. Le regret de Clotilde, la souffrance de ne plus l’avoir, la certitude qu’il ne l’aurait jamais plus, l’envahissait, à chaque heure davantage, d’un flot douloureux qui emportait tout. Le travail était vaincu, il laissait parfois tomber sa tête sur la page en train, et il pleurait pendant des heures, sans trouver le courage de reprendre la plume. Son acharnement à la besogne, ses journées de volontaire anéantissement aboutissaient à des nuits terribles, des nuits d’insomnie ardente, pendant lesquelles il mordait ses draps, pour ne