Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/319

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ses palpitations depuis quelques semaines, ses vertiges, ses étouffements ; et il y avait surtout cette usure de l’organe, de son pauvre cœur surmené de passion et de travail, ce sentiment d’immense fatigue et de fin prochaine, auquel il ne se trompait plus à cette heure. Pourtant, ce n’était pas encore de la crainte qu’il éprouvait. Sa première pensée venait d’être que lui aussi, à son tour, payait son hérédité, que la sclérose, cette sorte de dégénérescence, était sa part de misère physiologique, le legs inévitable de sa terrible ascendance. D’autres avaient vu la névrose, la lésion originelle, se tourner en vice ou en vertu, en génie, en crime, en ivrognerie, en sainteté ; d’autres étaient morts phtisiques, épileptiques, ataviques ; lui avait vécu de passion et allait mourir du cœur. Et il n’en tremblait plus, il ne s’en irritait plus, de cette hérédité manifeste, fatale et nécessaire sans doute. Au contraire, une humilité le prenait, la certitude que toute révolte contre les lois naturelles est mauvaise. Pourquoi donc, autrefois, triomphait-il, exultant d’allégresse, à l’idée de n’être pas de sa famille, de se sentir différent, sans communauté aucune ? Rien n’était moins philosophique. Les monstres seuls poussaient à l’écart. Et être de sa famille, mon Dieu ! cela finissait par lui paraître aussi bon, aussi beau que d’être d’une autre, car toutes ne se ressemblaient-elles pas, l’humanité n’était-elle pas identique partout, avec la même somme de bien et de mal ? Il en arrivait, très modeste et très doux, sous la menace de la souffrance et de la mort, à tout accepter de la vie.

Dès lors, Pascal vécut dans cette pensée qu’il pouvait mourir d’une heure à l’autre. Et cela acheva de le grandir, de le hausser à l’oubli complet de lui-même. Il ne cessa pas de travailler, mais jamais il n’avait mieux compris combien l’effort doit trouver en soi sa récompense, l’œuvre étant toujours transitoire et restant quand même