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LES ROUGON-MACQUART.

fait de rage. La fille restait muette, toute blanche. Elle, la belle Normande, chassée de son banc ! Claire dit de sa voix tranquille que c’était bien fait, ce qui faillit, le soir, faire prendre les deux sœurs aux cheveux, chez elles, rue Pirouette. Au bout des huit jours, quand les Méhudin revinrent, elles restèrent sages, très-pincées, très-brèves, avec une colère froide. D’ailleurs, elles retrouvèrent le pavillon calmé, rentré dans l’ordre. La belle Normande, à partir de ce jour, dut nourrir une pensée de vengeance terrible. Elle sentait que le coup venait de la belle Lisa ; elle l’avait rencontrée, le lendemain de la bataille, la tête si haute, qu’elle jurait de lui faire payer cher son regard de triomphe. Il y eut, dans les coins des Halles, d’interminables conciliabules avec mademoiselle Saget, madame Lecœur et la Sarriette ; mais, quand elles étaient lasses d’histoires à dormir debout sur les dévergondages de Lisa avec le cousin et sur les cheveux qu’on trouvait dans les andouilles de Quenu, cela ne pouvait aller plus loin, ni ne la soulageait guère. Elle cherchait quelque chose de très-méchant, qui frappât sa rivale au cœur.

Son enfant grandissait librement au milieu de la poissonnerie. Dès l’âge de trois ans, il restait assis sur un bout de chiffon, en plein dans la marée. Il dormait fraternellement à côté des grands thons, il s’éveillait parmi les maquereaux et les merlans. Le garnement sentait la caque à faire croire qu’il sortait du ventre de quelque gros poisson. Son jeu favori fut longtemps, quand sa mère avait le dos tourné, de bâtir des murs et des maisons avec des harengs ; il jouait aussi à la bataille, sur la table de marbre, alignait des grondins en face les uns des autres, les poussait, leur cognait la tête, imitait avec les lèvres la trompette et le tambour, et finalement les remettait en tas, en disant qu’ils étaient morts. Plus tard, il alla rôder autour de sa tante Claire, pour avoir les vessies des carpes et des brochets qu’elle vidait ; il les po-