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LES ROUGON-MACQUART.

debout devant le comptoir, n’achetant rien, répétant de sa voix fluette :

— Il était encore hier chez elles, il n’en sort plus… La Normande l’a appelé « mon chéri » dans l’escalier.

Elle mentait un peu pour rester et se chauffer les mains plus longtemps. Le lendemain du jour où elle crut voir sortir Florent de la chambre de Claire, elle accourut et fit durer l’histoire une bonne demi-heure. C’était une honte ; maintenant, le cousin allait d’un lit à l’autre.

— Je l’ai vu, dit-elle. Quand il en a assez avec la Normande, il va trouver la petite blonde sur la pointe des pieds. Hier, il quittait la blonde, et il retournait sans doute auprès de la grande brune, quand il m’a aperçue, ce qui lui a fait rebrousser chemin. Toute la nuit, j’entends les deux portes, ça ne finit pas… Et cette vieille Méhudin qui couche dans un cabinet entre les chambres de ses filles !

Lisa faisait une moue de mépris. Elle parlait peu, n’encourageant les bavardages de mademoiselle Saget que par son silence. Elle écoutait profondément. Quand les détails devenaient par trop scabreux :

— Non, non, murmurait-elle, ce n’est pas permis… Se peut-il qu’il y ait des femmes comme ça !

Alors, mademoiselle Saget lui répondait que, dame ! toutes les femmes n’étaient pas honnêtes comme elle. Ensuite, elle se faisait très-tolérante pour le cousin. Un homme, ça court après chaque jupon qui passe ; puis, il n’était pas marié, peut-être. Et elle posait des questions sans en avoir l’air. Mais Lisa ne jugeait jamais le cousin, haussait les épaules, pinçait les lèvres. Quand mademoiselle Saget était partie, elle regardait, l’air écœuré, le couvercle de l’étuve, où la vieille avait laissé, sur le luisant du métal, la salissure terne de ses deux petites mains.

— Augustine, criait-elle, apportez donc un torchon pour essuyer l’étuve. C’est dégoûtant.